Les musiques au large
Il faut dépasser l’idée que l’un ou l’autre se fait du mot « jazz ».
Aujourd’hui, l’interpénétration des cultures a profondément modifié les modes d’expression. Le jazz, donc, n’y échappe pas. Il a vu ses interprètes et créateurs, de mieux en mieux formés par les filières d’enseignement qui leurs sont ouvertes, mais aussi de plus en plus sensibles et attentifs aux chants et pulsations du monde, traduire cette ouverture tous azimuts dans leurs projets.
On ne regarde donc pas en arrière, même si semble s’attarder une tendresse envers une époque fondatrice mais révolue (« À la manière de Chicago », sans aucune reprise et avec une expression tout à fait actuelle) ou des répertoires issus de la pop (« Songs from Bowie »), voire, plus étonnant encore, de la brillante branche électro française (« French touch »).
C’est tout simplement le meilleur pain quotidien dont se sont de tout temps nourri les jazzmen pour, à partir de substances a priori étrangères, alimenter le corps de leurs singulières paroles.
Chacun, pour peu qu’il soit ouvert à l’étonnant, y trouvera son compte. Comme, par exemple, dans le dialogue entre la magnifique chanteuse et oudiste palestinienne Kamilya Jubran avec la contrebassiste Sarah Murcia, la sensible
clarinettiste Élodie Pasquier qui ose le discours en solo ou la soirée dédiée à l’improvisation la plus débridée, portée par des musicien(ne)s de haut vol.
Le champ semble donc infini. Les musiciens dialoguent avec une dessinatrice qui donne à voir leurs parcours sonores (« Blast » + Coline Lloret), un duo presque improbable résonne sous la voûte du farinier de l’Abbaye (« Smoking Mouse »), un briscard virtuose multi-instrumentiste déchaîne une folle énergie créatrice à la tête de son trio (Laurent Dehors), et un percussionniste comme polyglotte nous distille un bonheur sans frontières (Xavier Desandre-Navarre).
Le tout se conclut avec le passage parmi nous d’une figure tutélaire d’un jazz universel à la française (Henri Texier).
Elle est pas belle la vie en jazz (quand il ne se prend pas pour du jazz) ?
Didier Levallet